Le jeu de rôle : définition et perspectives ludiques en intelligence collective grâce au Jeepform
- Thomas Quentin
- 16 juil. 2023
- 7 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 déc. 2023

Le jeu de rôle a tout changé sur notre façon de jouer aujourd'hui et il reste un outil puissant que l'on peut exploiter dans notre quotidien professionnel.
En soi le jeu de rôle existe depuis que l'homme et la femme, surtout dans leur format enfant, se prennent à rêver de ce qu'ils/elles ne sont pas, à s'inventer une vie et des interactions avec le produit de leur imaginaire.
I-Définition du jeu de rôle
Un jeu de rôle est donc une activité, par laquelle une personne interprète le rôle d'un personnage (réel ou imaginaire) dans un environnement fictif. Le/la participant∙e agit à travers ce rôle par des actions physiques ou imaginaires, par des actions narratives (dialogues improvisés, descriptions, jeu) et par des prises de décision sur le développement du personnage et de son histoire.
Olivier Caïra, sociologue français et auteur d'ouvrages ludiques sur et de jeux de rôle, a identifié dans son ouvrage "Jeux de rôle : Les forges de la fiction" (1) plusieurs types de jeux de rôle selon leur fonction :
une technique thérapeutique (psychologie)
une méthode pédagogique
une méthode d'analyse
une activité récréative.
Dans cette dernière catégorie fonctionnelle, Il existe plusieurs cadres de jeux de rôle :
des jeux enfantins (spontanés)
des jeux de rôle ludiques (à règles formelles), tels que le jeu de rôle dit « sur table » qui est un jeu de société
le jeu de rôle grandeur nature dans lequel les joueur∙euses réalisent physiquement leurs actions
les jeux vidéo de rôle joués sur support informatique.
Au delà des jeux enfantins, le premier jeu de rôle a été inventé par 2 américains Gary Gygax et Dave Arneson. Ces 2 fans de wargame, comprenez des jeux de bataille de figurines encadrée par des règles (mouvement, tir...), ont conçu dès 1969 ce qui allait devenir Dungeons & dragons en 1974 (2). Un maitre de jeu (MJ) faisait découvrir à des personnages, interprétés par des joueur∙euses, des souterrains (dungeons en anglais) parsemés de pièges et de créatures dangereuses dans le but de trouver des objet précieux et magiques qui feraient leur gloire et leur fortune. Les joueur∙euses avait devant eux une feuille de personnage, un crayon et des dés. Parfois les souterrains pouvaient être représentés sur un support ou bien ceux-ci devaient être recréés par les joueur∙euses selon les informations et les descriptions apportées par le MJ. Depuis, une multitude d'univers et de personnages existent et sont disponibles dans le commerce.

Partie de donjons et dragons de nos jours (crédits photos New York Times)
Des joueur∙euses ont rapidement extériorisés les jeux de rôle en grandeur nature (GN) pour permettre d'évoluer dans un espace plus réaliste. La difficulté étant à ce niveau là de représenter, formaliser l'imaginaire (la magie par exemple). Vous feriez comment pour représenter le lancement d'une boule de feu dans un GN ? La contrainte est source de créativité, n'est-ce pas ?
L'immersion la plus réaliste en termes de jeu de rôle a été amenée grâce à la technologie numérique, au travers des jeux vidéos. Ils ont amené notre société à devenir plus joueuse et à considérer le jeu vidéo comme une filière économique majeure. Le secteur de l’édition de jeux vidéo en France, mesuré dans les statistiques de l’Insee à travers l’activité économique « Édition de jeux vidéo », représente en 2021 un chiffre d’affaires marchand de 2,6 milliards d’euros (3).
De joueur∙euse seul∙e, la technologie a permis de jouer à plusieurs à distance, chacun derrière son PC. Mais depuis 2021 le chiffre d'affaire marchand recule de 8 % en volume par rapport à l’année 2020, année florissante pour ce secteur qui avait alors progressé de 21 %.
Sur cette base forte de joueur∙euses, le jeu de rôle revient à une version "de table" dans sa version récréative. On peut mettre cela sur le besoin de se voir en "présentiel". Le confinement, provoqué par le CoVid, a contrebalancé cette distanciation apportée par les jeux vidéos, les personnes ont eu à nouveau envie de se voir pour jouer ensemble (c'est aussi valable pour les jeux de société en général). On peut noter aussi que le gameplay des jeux vidéos peut sembler immuable, très genré. Enfin beaucoup de personnes, la communauté est immense chez les joueur∙euses de jeux vidéos, sont spectateurs et moins acteurs de ces jeux. On le voit bien avec l'essor de chaines de streaming (YouTube, Twitch...).
II-Pourquoi le jeu de rôle comme support de formation ou de facilitation ?
Le jeu de rôle, même s'il est complexe à mettre en œuvre chez les joueur∙euses, condense toutes les facettes de la théorie de l'autodétermination dans sa part motivationnelle (contrôle, autonomie, relation sociale). Je ne vous en dis pas plus et vous invite à consulter un ouvrage qui devrait paraitre en septembre, que j'ai co-écrit avec Etienne Galmiche et Claire SOLOGNY pour plus de détails. Retenez que le jeu de rôle va apporter la possibilité de jouer, simuler des situations fictives mais représentatives de quotidiens de travail. Les participant∙es vont ainsi s'entrainer, par émulation collective avec leurs compétences propres ou augmentées, et faire face à des situations qui vont leur parler.
a- Le Jeepform (ou freeform)
Le jeu de rôle tel que je vous le décris depuis quelques lignes est difficile à mettre en place, ceci pour plusieurs raisons :
il faut le plus souvent un∙e animateur∙rice (MJ).
la séquence de jeu est longue, donc difficile à insérer dans une formation
Les règles de jeu peuvent paraître compliquées ou contraignantes pour rendre fluide votre intervention.
Le monde ludique l'a bien compris il y a une dizaine d'années et certains ont conceptualisé le Jeepform. Non ce n'est pas du jeu de rôle en voiture, ou de voyage. Il s'agit d'un ensemble de techniques de jeu de rôle qui créent une expérience ludique collective privilégiant la représentation mentale et l'immersion sur la simulation et la stratégie. Il favorise les règles les plus réduites possibles et un scenario qui correspond à un canevas sur lequel les joueur∙euses vont broder l'histoire, ce qui revient à faire du théâtre forum. C'est une sorte d'improvisation théâtrale mais avec une certaine préparation par un∙e animateur∙rice (dans notre cas un∙e formateur∙rice), qui oriente aussi la partie.
Pour résumer, voici les grands principes du jeepform sont les suivants pour celles et ceux qui souhaiteraient organiser une formation, ou un temps d'intelligence collective (4) :
Les restrictions encouragent la créativité.
Vous ne pouvez pas vous tromper si vous laissez les participant∙es réussir ce qu’ils/elles entreprennent (sans pour autant en faire une règle).
Vous devriez toujours avoir un message ou un thème. Si vous vous demandez “De quoi parle ce scénario ?” et que votre réponse n’est qu’une longue description de la façon dont vous pensez qu’il se déroulera, repensez-le.
Le cadre de jeu ne doit pas servir de palliatif à l’histoire. Partez du principe que vous êtes le seul à trouver que votre univers de jeu est cool.
Partez du principe que vos participant∙es peuvent gérer des formats de partie compliqués.
Partez du principe que vos participant∙es peuvent comprendre des intrigues compliquées.
Partez du principe que vos participant∙es sont intéressés et motivés pour faire ce qu’il y a de mieux avec votre jeepform.
On doit mettre fin au plus vite à un jeepform qui part dans une mauvaise direction. on peut poser des règles communes et/ou en discuter en cours de jeu entre participant∙es.
Un scénario est souvent meilleur s’il a des personnages tangibles plutôt que des rôles principaux. Aucune règle n’impose que les personnages aient une égalité d’influence, ou d’importance, sur l’histoire.
Une partie courte est souvent préférable à une partie plus longue : il n’y a aucune honte à terminer une partie après trois heures (ou moins) même si vous avez estimé devant tout le monde qu’elle durerait six heures.
Assurez-vous toujours que les participant∙es savent à quoi ils jouent et vers où l’histoire devrait progresser.
Une partie peut être jouée plusieurs fois, avec les mêmes participant∙es incarnant les mêmes personnages.
Préférez jouer avec peu de participant∙es, et entretenez une certaine proximité physique entre eux ; dans une même pièce par exemple. Cela vous permet de mieux exploiter le format. Cela aide aussi à garder une vision commune et à transmettre les informations de façon plus aisée.
Le but le plus important d’une intrigue est de faciliter les interactions entre participant∙es.
Ne craignez pas les histoires en patchwork
III-Pour vous inspirer tout en faisant
Quoi de mieux que de pratiquer pour comprendre et mettre en place par la suite. Je vous propose 3 références que j'ai testé et dont les mécaniques et la jouabilité sont innovantes et facilite l'immersion, mais il y en a d'autres :
Alice is missing de Spenser Starke edité chez Renegade Game Studio, 2022.

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Alice is missing est une expérience ludique, entre jeu d’enquête et jeu de rôle : du pur Jeepform. Alice Briarwood, une lycéenne de la paisible ville de Silent Falls en Californie du Nord, a disparu. Le jeu se déroule dans le silence. Utilisez votre téléphone portable pour envoyer des textos à votre groupe de joueurs et de joueuses, afin de découvrir des indices, et comprendre ce qui est arrivé à Alice. L'immersion est totale, l'expérience unique, utilisable clé en main. Comptez 3h pour une partie, préparation et debriefing compris.
Le cabinet des murmures, de Matthias Haddad édité chez les XII singes, 2021

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Le Cabinet des Murmures est un jeu de rôle se déroulant à la fin d’un XIXe siècle uchronique : celui de l’Europe des Aigles, Napoléon n'est pas revenu bredouille de Russie. Les joueurs y interprètent des Esprits qui « hantent » le corps d’un seul et même médium. J'ai l'habitude de faire le rapprochement avec le mode projet car des participant∙es aux compétences différentes vont tour à tour prendre le contrôle et parler au travers d'un même corps. C'est un jeu de rôle dont la mécanique pourra être adaptée. Attention ce jeu est pour les habitués.
L'appel de Cthulhu, d'après l'œuvre d'H.P. Lovecraft, édité chez Edge Studio, 2022.

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Le fantastique et l'horreur sont des univers très immersifs. L'autre grand classique du jeu de rôle c'est L'Appel de Cthulhu. C'est un jeu de rôle plein de secrets, de mystères et d'horreur basé sur l'œuvre de H.P. Lovecraft. Dans la peau de courageux investigateurs des années 1890, 1920, 1930, ou contemporains, vous visiterez des sites étranges et dangereux, vous dévoilerez d'ignobles complots et vous vous dresserez face aux horreurs du Mythe de Cthulhu. La feuille de personnage est une liste de compétences que vous pourrez aisément reprendre à votre compte, elle est disponible en pdf pour l'adapter dans l'univers que vous souhaiterez mettre en jeu. Pour des participant∙es animateur∙rices de débutant∙es à initié∙es selon les scénarios.
IV-Pour conclure
J'ai envie de citer Michael Freudenthal, doctorant à Université Sorbonne Paris Nord, dont la thèse financée par Asmodée (Game in lab) porte sur les jeux de société avec un accent sur la fiction. Mais Philippe Lépinard dont vous pouvez suivre toutes les recherches sur le site du projet pédagogique et de recherche en Ludopédagogie EdUTeam, en particulier sur les jeux de rôle :(https://eduteam.fr/historique#jdr). Je n'ai malheureusement à ce jour pas pu tout éplucher 😊.
Références
Olivier Caïra, Jeux de rôle : Les forges de la fiction, CNRS Éditions, 2007
Michael Witwer, Kyle Newman, Jon Peterson et Sam Witwer, Dungeons & dragons : Art et arcanes, toute l'histoire illustrée d'un jeu légendaire, Dargaud, 2018.
Ludovic Bourlès et Yann Nicolas, Analyse conjoncturelle du chiffre d’affaires de la culture au 4e trimestre 2020, Paris, Ministère de la Culture, DEPS, coll. « Note de conjoncture », mars 2021.
PTGPTB.fr, le dictionnaire jeepform, 2009.






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